EROA

Retour sur la journée Pota Pota

Le 18 avril dernier, Hugo Kostrzewa avait investi l’ERDV avec quelques surprises visuelles, sonores, olfactives et gustatives.

Le petit cours d’eau et sa cascade avaient une couleur très inquiétante et séduisante, des odeurs agréables flottaient dans certains couloirs, des sons venus d’on ne sait où surprenaient les passants. Un organisme non identifié -entre un morceau de chair un minéral- lançait un son mystérieux et attirant dans les buissons, en contrebas d’une passerelle. Sur les écrans des halls d’attente et d’accueil des « glitchs » faisaient de capricieuses apparitions et montraient des paysages étranges aux couleurs de bonbons chimiques. L’un des desserts du repas du midi crépitait et croustillait dans la bouche, avec ce même goût de confiture de  raisin que l’on pouvait humer dans un couloir un peu plus loin…

Traversant toutes ces petites péripéties sensorielles qui s’accumulaient au fil de la matinée et de l’après-midi, les élèves arrivaient par vagues jusqu’à la salle poly où les attendait Hugo Kostrzewa avec ses mots, ses sons et des odeurs. La lecture du conte Pota pota était suivie d’une bande sonore d’environ 7 minutes que chacun a écouté en se laissant flotter entre deux monde. Puis ensuite, sans trop échanger pour se partager et décider de ce qui était « bien, pas bien », sans se gâcher son expérience avec des mots,  on pouvait retrouver la rivière verte fluo, les paysages artificiels, les odeurs chimiques, les sons surnaturels une dernière fois. Parce que le lendemain, il n’y aurait plus rien.  Un QR code et une adresse internet https://hugoxerdv.ju.mp   nous relieraient encore à cette plongée brève et intense dans un monde juste à côté du notre. Le monde que les ERDViens appellent désormais Pota Pota..

Pota pota

-le conte original d’Hugo Kostrzewa. Avril 2018. ERDV I. Pleyel 

« Imaginez,

vous êtes quelque part.

Quelque part.

Alors ce quelque part, pour le décrire, c’est plus facile de dire ce qu’il n’est pas, plutôt que de

dire ce qu’il est. Parce que ce serait un endroit que personne ne connaîtrait, et où personne

n’aurait jamais été.

Quand on dit personne, c’est qui personne ?

Personne, c’est quelqu’un comme nous. Un humain. Une personne. Qui ne serait pas là.

Personne.

Enfin je sais pas mais, on pourrait se dire “J’suis allé au parc, il n’y avait personne. Non non

j’en suis sûr, j’ai croisé personne.“

Pourtant, dans un parc, il y en a des choses.

Alors, on pourrait partir des plus grandes aux plus petites. Choses. Qui vivent. Dans le parc.

Qu’on est en train d’imaginer.

Il y avait peut-être, un renard ? Alors ça dépend du genre de parc. OK, disons qu’il y avait un

renard caché dans un buisson. Aussi un gros hibou qui somnole dans un arbre, sans un

bruit.

Il y avait peut-être aussi… Que peut-il y avoir d’autre dans un parc ? Un chat qui fait la

sieste tranquillement, ah ça, ils savent toujours trouver des endroits pour être tranquille,

mais en gardant toujours un œil sur les oiseaux.

Il y avait ce jour-là aussi trois pigeons, deux pies, une volée de martinets et quelques petits

moineaux. Ce qui est sûr, c’est qu’il devait y avoir des petits mulots quelque part. Une famille

nombreuse. Et puis ? Si les mulots sont là, c’est qu’ils ont à manger. J’imagine qu’ils doivent

grignoter des graines et des escargots. Je ne sais pas s’ils mangent des fourmis, mais là, on

est arrivé dans le tout petit. En fait, il reste encore plein de choses vivantes encore

beaucoup plus petites, des choses microscopiques.

Et puis j’aller oublier, il y a aussi ce qu’il se passe sous la terre, les taupes, les vers de

terre…

Il faudrait être spécialiste pour connaitre tout ça. Toutes les choses qu’on ne remarque pas.

Alors quand j’ai dit “il n’y a personne”, “imaginez un endroit où il n’y a personne” ça devient

un peu compliqué.

Bon essayons d’avancer un peu. Cette histoire se passe où ?

Eh bien disons que ça se passerait dans un autre monde que le nôtre, mais un monde qui

ne serait pas sur une planète.

Un monde, comme suspendu. Vous en connaissez des mondes qui ne seraient pas sur des

planètes ?

Bon, voilà, disons que vous êtes dans un de ces mondes. Un monde suspendu où il n’y a

personne… Enfin personne comme on dit chez nous les terriens.

Et puis alors, il ne se passe rien.

Alors, vous allez me dire, “c’est pas très intéressant cette histoire.”“L’autre jour, j’ai été au parc, il y avait personne, il se passait rien.”

Y avait “R” comme disent les jeunes. Alors j’ai respiré un bon coup et je suis rentré chez

moi.

Mais, vous êtes sûr qu’il ne se passait rien au parc ?

Parce que, bon, je veux bien croire que le vieux hibou dorme. Que le petit chat dorme aussi.

Mais, déjà, faire la sieste c’est pas rien faire. Moi, j’adore me mettre à côté d’un chat qui dort,

et écouter son petit ronron.

Et puis après, je pense qu’il y a quand même pas mal de petites bêtes à l’ouvrage en vérité.

On parle des bêtes, mais, et les plantes ? Parce qu’elles font pas rien, les plantes.

Qu’est-ce qu’elles font ? Qu’est-ce qu’elle fait une fleur en fait ?

Son but, c’est le même que toutes les plantes : grandir au maximum et de faire un tas

d’autres fleurs. C’est déjà pas mal de boulot.

Alors je sais pas ce que vous en savez. En fait, on sait pas grand-chose aujourd’hui. Enfin

tout ça pour dire que si ça se trouve, les trois quarts des choses vivantes dans le parc

étaient super occupées quand moi, je suis venu, et que j’ai dit “Il y a personne il se passe

rien”. Alors certainement que je m’attendais peut-être un peu trop à trouver quelqu’un,

quelqu’un qui fait quelque chose. Comme vous là, vous écoutez, vous m’écoutez bien, c’est

de l’écoute active, vous êtes curieux, vous imaginez des choses. Bravo.

Revenons à nos moutons, enfin notre histoire de monde.

Pour décrire ce qu’il s’y passe, ou plutôt ce qu’il ne s’y passe pas, il faudrait trouver les mots

justes. Mais dans quelle langue ?

Par exemple en anglais quand on dit chewing-gum, on devine bien que c’est mou, collant et

que c’est élastique, on peut l’étirer cheeeewiiiiiiiing !

Par contre, quand les Mayas (c’est une civilisation ancienne d’Amérique du Sud) l’ont

découvert il y a deux ou trois mille ans en machant la sêve de l’arbre sapotiller, ils ne l’ont

pas appelé chewing gum mais chiclé. (prononcé « tchiclé » ; du nahuatl tzictli)

Tchicle, tchicle, tchicle, tchicle, c’est exactement le bruit que ça fait quand on mâche un

chiclet, enfin un chewing-gum.

Vous comprenez, dans un monde où il n’y a personne qui parle, comment est-ce qu’on

appelle les choses ? comment est-ce qu’on décrit la vie, le paysage ?

À moins qu’on fasse comme chez soi, qu’on fasse comme si ce monde, c’était notre monde

et qu’on utilise des mots de notre langue.

Peut-être que dans ce monde, il y a une odeur-couleur (le mélange des deux) qui règne

partout, peut-être que c’est ce qui ressemble à notre atmosphère, vous savez, l’air qu’on

respire.

L’air qu’on respire c’est pas rien. Et peut être que dans ce monde, cette

odeur-couleur-atmosphère sentirait – pour nous – par hasard,comme un parfum qu’on

connaitrait, un parfum de bonbon japonais au raisin. Sauf que ce serait l’odeur normale de

ce monde, tellement normale que personne ne la sentirait. Personne. Enfin personne

comme on dit personne dans notre monde. Oui, je sais c’est compliqué.Mais au fait Pota Pota c’est en quelle langue ?

Et bien ça existe dans plusieurs langues

En japonais ça désigne le son de l’eau qui coule.

pote pote pote pote

Pour moi, c’est une pluie tranquille qui tombe sur des grandes feuilles de rhubarbe. »

Pota pota, le soir de la restitution. 18 avril 2024

Des parents, des élèves, des internes des personnels de l’ERDV se sont réunis ce soir dans le grand hall d’entrée de l’ERDV. Des chaises, deux pianos, des enceintes. Hugo Kostrzewa raconte Pota pota, puis la bande son d’environ 7 minutes se diffuse une dernière fois dans l’espace. 7 minutes c’est long et c’est court, surtout sans repère. Mais on est assis, on est posé, là, sans rien d’autre à faire qu’écouter, sentir, respirer et partager le même son et le même oxygène. Il y a comme une ambiance dans l’air. À la fin on applaudit, un peu stupéfaits, étourdis, engourdis, présents, vivants.

Puis Hugo Kostrzewa propose à Samuel et Keita, deux élèves du CAP accordeur de piano, ainsi qu’à Marc leur professeur de musique de rejoindre les les deux pianos et un violon pour présenter une création sonore qu’il a initiée et qu’ils ont pu développer ensemble. Il s’agit de quelques improvisations inventées à partir des parfums artificiels qu’Hugo a l’habitude de diffuser. Comment on interprète musicalement un donut, de l’herbe coupée, ou l’odeur d’un certain raisin qui n’a plus le droit d’être cultivé en France pour de fausses raisons, et dont l’odeur évoquerai le pipi de renard ? Les musiciens lancent leurs boucles répétitives, comiques, mystérieuses, volontairement erratiques. Hugo diffuse les parfums pour nous mettre dans l’ambiance.

Encore des applaudissements. Un discours formidable, un buffet extraordinaire.

  Lien vers le site Pota pota:

https://hugoxerdv.ju.mp

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